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Voyons nos vies comme des œuvres d'art !

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 15:09



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Titre :                                      Moderato cantabile

Auteur :                                  Marguerite DURAS

Genre :                                   Roman psychologique

Éditeur :                                 Les éditions de Minuit

Collection :                             Double

Année de parution :               1958

Année de cette édition :         1993

ISBN :                                    2707303143

 


 

L’intrigue :

 

Dans l’appartement de mademoiselle Giraud, un enfant se trouve face au clavier d’un piano. Mademoiselle Giraud est son professeur de musique. Elle le réprimande avec exaspération. L’enfant est une tête de mule et se refuse à restituer la signification de l’indication figurant au dessus de la sonatine de Diabelli qu’il apprend : Moderato cantabile. Soudain, des cris provenant du café en contrebas viennent perturber le cours. Anne Desbaresdes qui assiste comme à l’accoutumée, à la leçon de piano de son enfant, est interpellée. L’agitation prend une telle agitation, que madame Desbaresdes, son fils et mademoiselle Giraud accourent à la fenêtre. Anne, prise par la curiosité, descend, se mêle à la foule afin d’en apprendre davantage. Un meurtre vient d’avoir lieu. Un homme aurait tiré sur son épouse…

 


 

Mon avis :

 

Que voici un ouvrage peu commun ! L’auteur nous rend témoin de cet étrange ballet, que représente cette intrigue. Une femme au demeurant alcoolique, qui est tuée par son mari apparemment éperdu d’amour, apparemment perdu. Quel étrange dialogue s’en suit, entre Anne Desbaresdes et Chauvin, ouvrier de la fonderie ! Enfin, ouvrier de la fonderie, nous le supposons. Laquelle fonderie fait vivre la petite population de cette petite ville de bord de mer. Cette fonderie appartient certainement au mari de madame Desbaresdes ; enfin, le subodore-t-on.

Moderato cantabileQuel voyage entêtant que ce récit ! Cette femme de la belle société, qui soudainement et contre toute attente, venant rompre avec ses habitudes, vient se frotter au peuple, quoi qu’en s’isolant toutefois dans un recoin du café, et qui parle à cet homme inconnu qu’elle ne rencontre pour la première fois, du moins nous sommes menés à le penser. que le lendemain du drame. 

Quels étranges dialogues ! Des  phrases courtes, comme en attente, comme en suspension, comme émises de bouches enivrées, comme perçues par des oreilles grisées. Quel carrousel étourdissant que ces rendez-vous quotidiens, que cette boucle incessante ou semblant l’être, que cette action renouvelée, entre Chauvin et Anne ! Le lecteur est comme happé dans un vortex à deux pôles, lui conférant l’aspect d’un double cône, d’une toupie, qui tantôt l’aspire vers la lumière, quelque information lui étant à priori délivrée, tantôt le rejetant vers le trou noir, le néant des profondeurs, tant le dialogue semble n’être qu’échange de vacuité.

Anne Desbaresdes et cet homme ! Quel duo improbable ! Cet adultère qui se dessine ou plus exactement, qui peut sembler se dessiner ; cet intérêt étrange, morbide, voire fusionnel, entre ce fait divers et ce duo impromptu ! Comme est désarçonnante cette ambiguïté due à cette absence de réaction, à l’aveu de cet homme qui visiblement épie Anne depuis longtemps, en connaît les habitudes et l’intimité ! Comme est surprenante cette ivresse de vin dans laquelle se répand Anne, aux côtés de Chauvin ! Quelle désarmante atmosphère psychopathique !

Ce récit est un voyage énigmatique. L’action se déroule ou ne se déroule-t-elle pas ? Anne est-elle réellement en train d’échanger avec cet homme, à propos de ce crime ? Ce crime a-t-il eu lieu ou n’est-il que le fruit de son imagination, laquelle ne chercherait qu’à la distraire, à l’extraire de la torpeur d’un quotidien réglé au millimètre, précision implacable comme l’est celle qui sépare les barreaux d’une geôle, aussi dorée puisse-t-elle être ? L’enfant de madame Desbaresdes, qu’elle pense parfois comme inventer ; cet enfant est-il réellement ? N’est-il pas, au regard du bateau qui traverse le tableau de la fenêtre de l’appartement de mademoiselle Giraud, qu’une invitation à l’évasion, qu’une extension éthérée d’elle-même, tendant à percer la futilité et la superficialité de ses jours ? Ce vin qu’elle vomit, n’est-il pas la métaphore de son propre rejet ? Elle s’exècre, elle se vomit. Cette ivresse n’est-elle pas le fruit fermenté de sa déambulation futile sur les eaux trop plates de son existence ? Toute ivresse n’est-elle pas qu’errance, qu’abandon de soi ? La finalité de ces rendez-vous quotidiens est-elle l’adultère ? Ou bien la mort, à l’instar de cette femme l’autre soir ? Laquelle femme était ivrogne comme semble le devenir Anne. Cette femme morte a-t-elle seulement existée ? N’est-elle pas la production de l’imagination perturbée d’Anne ? N’est-elle pas l’allégorie de ce à quoi aspire Anne en son tréfonds ? Deux mains et deux bouches glacées qui se rejoignent furtivement, sont-elles la fin, comme une mort tant espérée et tant appréhendée ?

 

Toutes ses questions assaillent le lecteur dont la pensée est tenue sous tension, dont la réflexion ne cesse de fonctionner hardiment tout au long de ce récit court et aéré. Marguerite Duras parvient à en exprimer davantage entre les mots, entre les lignes, que par le texte lui-même. Le texte est une évocation, un reflet, une ombre, une projection, une impression. Une introspection ? Un appel à l’introspection ? Je ne le sais ? Je suis comme Chauvin, je n’en sais guère plus que vous.

Mais ceci est un véritable tour de force que d’interpeler le lecteur par le non écrit. Ceci est déroutant et beaucoup n’auront certainement pas été au bout de cet ouvrage.

Je pense que la persévérance en vaut la peine. Il est une fraction de littérature qui se mérite, qu’il faut aller quérir. Elle ne vient pas à nous. C’est à nous de l’appeler, d’y aspirer. C’est un choix. Comme tout choix, il n’appartient qu’à nous et nul jugement ne doit en découler.

Un texte à la frontière de la philosophie, tant l’interrogation vient à sourdre d’entre ses lignes, d’entre ses mots, voire d’entre ses caractères. 

 




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